De l'eau perchée à la montagne d'argent

Publié le par Vince

               Prendre le bus pour Copacabana est comme une bouffée d’air après l’expérience désastreuse de Puno. Bon, évidemment, le confort n’est toujours pas le point fort du trajet, pas plus qu’il ne l’a été jusque là, mais la route contourne le lac Titicaca et c’est une suite de paysage splendides qui nous accompagnent. Ce lac, probablement l’un des plus connus au monde, et qui nous a tous fait rire pour son nom, que les enfants trouvent ridicule, nous impose maintenant le respect. Il règne alentour une ineffable sérénité, extra-spatiale et extratemporelle. Ses eaux parfaitement calmes, parsemées sur les côtes de « totoras », y sont probablement pour beaucoup, de même que l’air pur de l’altitude et son froid glacial et sec. Une fois passée la frontière à pied (il nus a fallu sortir du bus pour en prendre un second par la suite), nous ne tardons pas à arriver à Copacabana, cité très touristique, nichée au fond d’une baie. C’est une ville agréable, qui s’intègre parfaitement au décor naturel, contrairement à Puno l’Affreuse.

 

 

Ses bâtiments colorés lui donnent une touche pittoresque que l’on ne trouve nulle part ailleurs au bord du lac. La place d’Armes est particulièrement belle, ou plutôt la cathédrale qui s’y élève. Elle est entièrement blanche, resplendissante de pureté. Passée la vaste cour intérieure, vient la cathédrale en elle-même, surmontée d’un dôme splendide. A l’intérieur, les couleurs vives de la peinture qui recouvre les murs et le plafond tranchent nettement avec l’austérité de la plupart des églises françaises.

 

 

Nous trouvons rapidement un hôtel dans le centre-ville. Il nous donne le ton en matière de confort en Bolivie. Certes, il n’est pas cher (2€ la nuit), mais la prestation nous donnerait presque l’impression de nous faire voler. Les chambres sont sommaires mais ce n’est pas le pire. Les draps sont manifestement peu ou pas lavés et regorgent de charmants mais voraces compagnons… Je trainerai pendant près de trois semaines des morçures fort désagréables d’un quelconque insecte local. Autre point un peu limite : la douche. Parce qu’en réalité il n’y en a qu’une, alors que l’hôtel compte probablement une centaine de lits. Heureusement que nous n’étions pas nombreux et que nous avons pu prendre une douche sans attendre. Je n’ose pas imaginer la situation en pleine saison.

 

               Après une « bonne » nuit de sommeil dans le Caesar’s Palace de la Bolivie, nous décidons de passer la journée sur l’île du Soleil. Celle-ci est naturelle, pas comme les radeaux infâmes de Puno. Et puis elle est très réputée pour ses paysages magnifiques et compte des ruines de l’empire inca. 1h30 de navigation sur le lac suffisent à nous y conduire, et nous arrivons en fin de mâtinée.

 

 

Le temps est magnifique, ce qui nous met en parfaite condition pour admirer ce petit joyaux au cœur du lac Titicaca. L’île, très vallonnée et parcourue de part en part de sentiers et d’escaliers de pierre, me fait penser à la Crète, avec sa végétation clairsemée. La faible population se concentre exclusivement sur les côtes et l’activité économique semble toute entière dédiée à l’accueil des touristes, entre restaurants et hôtel aux prix exorbitants. Depuis les points les plus hauts, on peut distinguer nombre de criques qui semblent chacune totalement isolées. Pas moyen de se perdre, vu la forme très allongée qu’elle prend. Tout au plus deux sentiers serpentent, longeant la côte. Nous n’auront pas le temps de parcourir l’entièreté du circuit, qui part du sud pour rejoindre le nord et atteindre le Temple du Soleil, une ruine inca, avant de revenir vers le point de départ.

 

 

Nous voulons être sur Copacabana en fin de journée pour le Carnaval et il n’y a qu’une seule navette jusqu’à la ville en fin d’après-midi. Nous quittons donc l’île à l’heure prévue, après avoir profité de la bataille d’eau de circonstance en période de carnaval. Dès l’arrivée nous prenons la mesure de ce que représente le carnaval pour une petite ville comme Copacabana. C’est l’évènement de l’année. Pendant trois jours, depuis 9-10h du matin et jusqu’à 2-3h du matin suivant, selon un circuit qui traverse toute la ville, depuis le port jusqu’à la place d’Armes, c’est un défilé sans fin de costumes tous plus colorés et plus excentriques les uns que les autres qui inondent la ville sur fond de musique traditionnelle.

 

 

Les trottoirs sont surchargés de passants qui admirent le spectacle et de vendeurs de nourriture en tout genre, pas toujours appétissante mais toujours aussi bon marché. Dans la rue principale, en face de la cathédrale, une tribune a été montée où siège tout le gratin de la ville, le maire en bonne place accompagné d’une foule de suivants tous plus guindés les uns que les autres. Il semble que nous ayons eu de la chance pour les conditions climatiques, optimales à cette heure alors que la veille nous avions essuyé une averse orageuse et que la ville n’avait pas été ravitaillée depuis un certain temps à cause des pluies diluviennes. Il semble que la saison des pluies est particulièrement forte cette année, puisque nous avons vent d’un nombre important d’inondations à travers le pays, même si nous n’en avons pas vu une seule. L’après-midi passe relativement vite dans cette ambiance festive et bientôt le Soleil termine sa course pour se coucher sur le lac. Le carnaval ne s’arrête pas pour autant, je ne comprends même pas comment ont pu défiler un nombre aussi important de personnes

 

 

 

Au détour d’une rue, alors que la nuit est déjà quasiment là, nous croisons deux potes d’Arthur, de l’INSA de Lyon, Matthias et … Ils reviennent d’un trek sauvage sur l’altiplano bolivien. Avec leur tête de roots et leurs fringues boliviennes, ils se fondent parfaitement dans le paysage ! Nous passerons donc la soirée à discuter avec eux en profitant des activités nocturnes du carnaval. L’une d’entre elle, somme toute assez informelle, est assurée par une fanfare dont les membres semblent avoir un joli coup dans le nez. Bon ok, ils sont ronds comme des barriques et ont bien du mal à soutenir leurs instruments parfois pesants. Mais au final ça rend pas mal au niveau musical, après tout c’est pas un orchestre philarmonique ! Sur la place d’Armes, un groupe d’anonymes s’improvisent ingénieurs pyrotechniques. Alors évidemment ça donne quelques résultats sympathiques, mais je pense que la sécurité d’usage n’est pas très présente, notamment quand c’est un gamin qui ne semble pas avoir plus de 12 ans qui allume une fusée. Pour le timing, c’est pas toujours ça non plus. Mais c’est tout ça qui donne au carnaval son côté populaire et très agréable. De l’autre côté de la place, les défilés continuent. Néanmoins, le pas n’est plus aussi sûr que dans la journée. Nous remarquons que des gobelets sont offerts aux musiciens. L’un d’eux nous en offre un : c’est de la niaule ! Ceci explique cela. Au final l’heure a tourné très vite pendant ce carnaval, et c’est complètement exténué que je constate qu’il est déjà 2h, et que, le départ pour La Paz étant prévu le lendemain matin, il va falloir aller se coucher. La perspective de mon lit d’hôtel de m’enchante pas spécialement mais pour quelques heures ça fera l’affaire.

 

               Quel bonheur de quitter l’hôtel miteux de Copacabana ce matin pour rejoindre l’arrêt de bus ! En retard, comme d’habitude, nous ne le prendrons finalement qu’aux alentours de midi, patientant tranquillement près du bus qui se remplit petit à petit. La soirée d’hier a laissé quelques traces sur Copacabana, et pas mal de gens ont dû se réveiller avec un léger mal de crâne. Après 2-3h de bus, nous arrivons à la capitale bolivienne. L’arrivée elle-même est assez impressionnante. La ville étant coincée dans une cuvette à 4000 mètres d’altitude, on en a, une fois passée la banlieue, une vue d’ensemble spectaculaire.

 

 

Dès arrivés au terminal de bus, un taxi nous emmène à l’hôtel où nous avons prévu de nous arrêter. Juste le temps de déposer les affaires et nous ressortons à la recherche d’un endroit où manger quelque chose de rapide, pour avoir le temps de visiter un peu la ville dès aujourd’hui. Nous sommes arrivés assez tard dans l’après-midi, donc nous engouffrons rapidement un sandwich avant de nous diriger vers un mirador qui doit nous donner une vue de la ville surprenante. Et ce n’est pas décevant. Vue d’en haut, La Paz est réellement surprenante, et étonne surtout par le nombre de ses immeubles, qui s’élèvent dans le centre ville. On distingue également le stade, et bien évidemment les montagnes environnantes.

 

 

Après ce bref passage par le mirador, nous retournons vers la partie basse de La Paz pour visiter un premier musée. Particulièrement réputé, le musée de la coca n’est pas prétentieux mais très intéressant. On y découvre toutes les vertus de cette plantes extrêmement prisée des populations montagneuses, entre autre la résistance à l’effort, l’augmentation des capacités pulmonaires, la nutrition… Et surtout, une bonne partie du musée est consacrée à mettre à mal le préjugé extrêmement répandu (jusque dans les normes internationales de régulation de la production de coca) selon lequel la feuille de coca serait une drogue. La plante en elle-même n’est pas une drogue, se sont ses dérivés, et notamment la cocaïne, qui en sont. Nous repartons convaincus. Il ne nous reste déjà que peu de temps dans cette première journée à La Paz. Le temps d’un bon resto et nous allons faire un tour en ville avant de rentrer à l’hôtel. La journée de demain s’annonce prometteuse, avec notamment le carnaval de La Paz. Vu l’engouement populaire suscité par le carnaval jusque dans les plus petits villages du Pérou, la perspective de connaître celui de la capitale bolivienne est assez excitante.

 

 

               Ce matin, en sortant de l’hôtel, nous nous dirigeons directement vers le centre ville pour voir sous quelle forme se célèbre le carnaval ici. C’est une véritable guerre civile ! Une guerre civile où les champs de batailles ne sont autres que les rues de la ville, les belligérants tous ceux qui se trouvent dans la ville pendant ces quelques jours et les projectiles des bombes à eau et de la neige artificielle ! Toutes les rues du centre sont fermées à la circulation et protégées par des barrières métalliques. Des tribunes ont été montées ça et là pour ceux qui ne souhaitent pas participer au combat mais veulent profiter du spectacle. Vu le nombre de parapluies et de ponchos en plastique qu’ils portent, ils savent qu’ils seront souvent la cible des carnavaliers. Ces derniers grouillent littéralement dans les rues protégées, bombardant de tous les côtés n’importe quelle personne qui passe à portée de tir. On peut observer un mouvement général dans un sens précis, mais il n’y a pas de règle dans cette bataille dérangée, où tout le monde se croise, s’asperge et s’observe d’un regard suspicieux.

 

 

Rapidement nous comprenons qu’il va falloir nous protéger pour ne pas terminer totalement trempés en moins de 5 minutes. Nous achetons quelques bombes de neige artificielle, des ponchos en plastique, et partons au combat ! L’ambiance de fête et la bonne humeur sont contagieuses, et nous voilà rapidement complètement accrocs de cette façon de célébrer le carnaval. Nous nous frayons un chemin dans la masse, et réussissons finalement à nous en extraire pour rejoindre une ruelle où, semble-t-il, se trouve le musée de la musique. Petite parenthèse dans cette journée guerrière. C’est l’un des meilleurs musées que nous aurons visité pendant le voyage. Des instruments de musiques traditionnels de Bolivie et du monde entier en remplissent les vitrines. On remarquera notamment les flûtes de pan gigantesques, les banjos en carapace de tatou et les saxophones en bois.

 

 

Une fois la trêve terminée, nous retournons sur le front. Jusqu’aux militaires s’amusent à me bombarder, par-dessus le mur d’enceinte de leur caserne. La journée se terminera tranquillement, autant qu’il est possible en cette période de carnaval.

 

 

               Dès le lendemain, nous repartons de La Paz, la tête encore pleine des folies carnavalières. Le bus nous emmène vers Potosí, ville minière déjà bien au sud de la Bolivie. « Ville minière », ça n’est pas peu dire ! Elle s’est construite, durant l’époque coloniale, à proximité du mont Potosí, regorgeant de ressources minières, parmi lesquelles de l’argent, du plomb et du nickel. Après 400 ans d’exploitation continue de cette montagne magique, la mine est toujours exploitée. Bon, il est certain que les métaux qui en sont extraits ne sont plus de la même qualité que par le passé, mais les prix actuellement élevés des cours permettent de faire travailler 17 000 mineurs.

 

 

La légende veut que l’Inca ait « senti » les richesses que renfermait le mont Potosí avant même l’arrivée des Espagnols, alors qu’il passait à proximité pour recevoir des soins. Il aurait déclaré que cette montagne ne serait pas exploitée par son peuple parce que ses richesses étaient destinées à d’autres. Il semblerait que notre Elizabeth Tessier nationale a du sang inca dans les veines ! On a dit plus tard, peut-être avec un peu plus de vérité, qu’il aurait été possible, grâce aux minerais extraits de cette mine, de construire un pont d’argent depuis Potosí jusqu’à la métropole européenne. Et bien évidemment, toutes ces légendes sont révélatrices d’un passé plus que glorieux de la ville de Potosí, comme en témoigne le nombre impressionnant de bâtisses coloniales aux façades outrecuidantes qui marquent encore ses rues étroites et sinueuses. Mais cette gloire passée, que le temps, marqué par les vicissitudes du prix des métaux, a largement érodé, cache mal aujourd’hui la misère latente et en constante progression. A l’arrivée, nous nous installons dans la première auberge que nous trouvons, au confort correct. Un petit tour dans les rues de la ville nous donne un aperçu de ce qu’elle est. Perchée sur une colline, ses places et ses rues sont charmantes, mais y règne irrémédiablement un parfum amer de « ville minière », cet espèce de virus qui touche toutes les villes construites pour et par une mine et les promet, dès la fin de l’exploitation du sol, à une mort certaine. La visite de la mine, le jour même, va confirmer ce premier sentiment.

 

 

l faut dire que nous avons de la chance d’être tombés sur notre guide. Ancien mineur lui-même, il est l’un des premiers à avoir exploité l’attrait touristique de la mine. Il nous raconte les conditions de travail dans la mine, exécrables. Loin des mines de cuivre chiliennes et leurs réseaux de galerie ultra-modernes où circulent jusqu’aux camions énorme d’acheminement des matières extraites, celle-ci est constituée de véritables galeries de taupes. Accidentées, enrochées, étroites au sol comme au plafond, elles constituent un dédale de martyr pour les mineurs qui doivent évoluer en son sein le dos voûté et les jambes pliées. Un tronçon est même marqué par une voûte en pierre datant du XVIIe siècle.

 

 

Nous faisons un arrêt dans l’antre du Tío, le Dieu des mineurs. Chargé de leur protection dans la mine, il est représenté par un pantin de papier mâché à l’effigie du Diable, du fait de la position souterraine de son domaine d’influence. Étrange ambiance au cœur de cette mine où Diable se fait Dieu pour protéger des mineurs pourtant trop souvent terrassés dans la fleur de l’âge par les fléaux inhérents à leur lieu de travail. La poussière qui leur mine les poumons (sans mauvais jeu de mots), les coups de grisou et autres usures physiques terrassent avant l’âge ces travailleurs forcenés, doux rêveurs de fortune dans une mine qui n’a pourtant plus rien à leur offrir de plus que la promesse d’une mort annoncée.

 

 

Notre guide nous informe également de l’organisation de la mine, coopérative. Il n’est plus question ici, depuis la Révolution de 1952, de magnats de l’argent américains qui profitent des richesses de la montagne dans le dos des ouvriers. Ils sont à leur compte, liés à une coopérative de mineurs dans laquelle ils peuvent monter en grade au fil de leur carrière. Est-ce plus enviable comme situation que celle de mineur dans une société, sachant que ce dernier reçoit un salaire fixe, quelle que soit sa production ? Dans une mine marquée par l’épuisement des ressources, la coopérative ne fait que pénaliser ceux qui ont le malheur de ne pas avoir le bon filon au bout de leur pioche et valorise à peine ceux qui ont la chance de l’avoir. Ce n’est pas sans un certain plaisir que nous sortons de la mine au bout d’une visite jusqu’au quatrième niveau. Les rayons du Soleil se font éblouissants et, le temps que nos yeux se réhabituent à la lumière, nos poumons se remplissent de l’air pur. Sur le chemin du retour, notre guide nous fait entrer dans une fête de mineurs. Il suffit de voir leur état à 18h de l’après-midi pour savoir que ces hommes ont un certain nombre de préoccupations à oublier ! Tout le monde est complètement raide ! Le plus vieux d’entre eux, qui n’est pas le plus saoul, clame haut et fort son âge, 60 ans, exceptionnel pour un mineur. Ils sont tous très chaleureux, n’hésitent pas à nus offrir « quelques verres » de leurs mélanges, nous demandent quelques clopes, et me font part de leur rêve d’aller, un jour, en France. Nous ne nous attardons pas et profitons de la pluie qui se met à tomber pour prendre pour de bon le chemin du retour. Un passage au local des combinaisons pour se changer, et nous prenons un « collectivo » vers le centre de Potosí.

 

               Nous passerons un jour de plus à Potosí. Un jour tranquille, encore marqué par le carnaval. Et puis rapidement nous reprenons la route vers Uyuni et laissons derrière nous ce confetti de misère au cœur de la Bolivie, qui regrettera probablement encore longtemps ses « années folles ».

Publié dans Voyages

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